30 Mai Présomption de démission pour abandon de poste… il est urgent d’attendre

Publié à 20:00 dans publications par Catherine Lépy

L’article L. 1237-1 du Code du Travail (issu de la loi du 21 décembre 2022) prévoit désormais que le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de le faire est présumé démissionnaire. Cette mise en demeure peut se faire par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. De fait, le salarié n’aura pas le droit de bénéficier de l’assurance chômage.

Il a fallu attendre la publication du décret n°2023-275 du 17 avril 2023 pour connaître les modalités de ces dispositions.

Ce décret est venu préciser que le délai dans lequel le salarié doit reprendre son poste ne doit pas être inférieur à une durée de 15 jours calendaires et que ce délai commence à courir dès « la première présentation de la mise en demeure du salarié ».

Cette mise en demeure peut se faire par lettre recommandée avec accusé de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge.

A l’expiration de ce délai de 15 jours, le salarié est alors présumé démissionnaire, les règles législatives, conventionnelles et jurisprudentielles relatives à la démission doivent donc trouver à s’appliquer.

C’est le cas notamment du préavis de démission qui est dû si les dispositions législatives ou conventionnelles le prévoient.

Si le décret du 17 avril 2023 est venu préciser les modalités de mise en œuvre de la présomption de démission en cas d’abandon de poste, il s’est avéré nécessaire pour le gouvernement d’établir un « questions réponses du gouvernement » qui apporte quant à lui des précisions sur l’application du décret.

Plusieurs questions pratiques et non prévues dans le décret se posaient en effet :

1.  L’employeur est-il obligé d’envoyer une mise en demeure si son salarié est en abandon de poste ?

A cette question à laquelle peuvent se trouver confrontés les employeurs, le gouvernement est venu indiquer que l’employeur pouvait décider de ne pas mettre en demeure un salarié qui a abandonné volontairement son poste.

Dans un pareil cas, l’employeur conserve ce salarié dans ses effectifs. Le contrat de travail du salarié n’est pas rompu mais seulement suspendu, mais la rémunération du salarié n’est pas due.

A contrario et si l’employeur désire mettre un terme à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission et n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute.

Cette position du gouvernement en ce qu’elle fait interdiction à l’employeur de recourir au licenciement pour abandon de poste pose dans les faits un certain nombre de questions qui ne sont pas à date résolues.

2.  Quel est le contenu de la mise en demeure de l’employeur ?

L’employeur doit obligatoirement indiquer dans sa mise en demeure le délai dans lequel le salarié doit reprendre son poste. Il doit également lui demander la raison de son absence afin de recueillir la justification de cette absence.

Le délai donné au salarié pour reprendre son poste ne doit pas être inférieur à 15 jours calendaires à compter de la présentation de la lettre recommandée ou de la lettre remise en main propre contre décharge.

L’employeur doit également rappeler que passé ce délai, faute pour le salarié d’avoir repris son poste, ce dernier sera présumé démissionnaire.

Le gouvernement est également venu indiquer que l’employeur pouvait préciser dans la mise en demeure les conséquences du refus du salarié de reprendre son poste passé le délai fixé par l’employeur : le salarié sera considéré comme démissionnaire et n’aura pas droit aux allocations d’assurance chômage.

3.  Que doit être la position de l’employeur lorsqu’il ne reçoit pas la preuve de la réception de la mise en demeure adressée au salarié ?

Comme pour la convocation à l’entretien préalable au licenciement, l’envoi de la mise en demeure par lettre recommandée, même si elle n’est pas obligatoire puisqu’elle peut être également faite par lettre remise en main propre, permet de prévenir toute contestation sur la date de remise de la mise en demeure. Aussi, si le salarié refuse de prendre connaissance de la mise en demeure, cette dernière est quand même notifiée régulièrement dès lors qu’elle a bien été présentée au domicile du salarié.

Il en va de même si le salarié, par négligence, n’a pas fourni à son employeur la bonne adresse de son domicile.

4.  Existe-il des motifs d’abandon de poste pour lesquels la procédure de présomption de démission ne doit pas être conduite à son terme ?

Le salarié répond à la mise en demeure de son employeur en justifiant son absence à son poste de travail par un motif légitime, la procédure permettant de présumer d’une démission ne doit pas être reconduite à son terme.

Ainsi sont retenues notamment comme des situations ne permettant pas de poursuivre la procédure de présomption de démission :

–    l’exercice par le salarié de son droit de retrait en raison de l’existence d’un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé ;

–    l’absence du salarié justifiée par son état de santé ;

–    le salarié gréviste au sens de l’article L. 2511-1 du Code du Travail.

5.  Quelles sont les conséquences si le salarié ne répond pas à la mise en demeure de son employeur ou répond qu’il ne souhaite pas reprendre son poste ?

Si le salarié ne répond pas à la mise en demeure et ne reprend pas le travail au plus tard à la date fixée par l’employeur, il sera présumé démissionnaire. La démission du salarié sera constatée à la date ultime de reprise du travail fixée par l’employeur.

Si le salarié répond à la mise en demeure de son employeur qu’il ne reprendra pas son travail dans l’entreprise, il sera également considéré comme démissionnaire à la date ultime de reprise du travail fixée par l’employeur.

6.  Comme pour n’importe quelle démission, l’employeur est tenu de remettre au salarié ses documents de fin de contrat soit :

–    Certificat de travail ;

–    Reçu pour solde de tout compte ;

–    Attestation d’assurance chômage.

L’employeur mentionnera comme type de rupture du contrat « démission » et fera de même dans la DNS.

7.  Le salarié est-il dans l’obligation de formaliser par écrit sa démission ?

La démission n’est soumise à aucun formalisme légal et dans le cas précis de la présomption de démission en cas d’abandon de poste du salarié, le gouvernement a considéré que l’employeur n’était pas obligé de demander à son salarié de produire un écrit pour formaliser sa démission.

La démission produit donc ses effets au terme du délai fixé par l’employeur sans qu’un formalisme particulier ne soit requis de la part des parties.

8. Le salarié pourra-t-il contester la présomption de démission ?

Le gouvernement, sur ce point, a confirmé les dispositions législatives en confirmant que le salarié pouvait saisir le Conseil de Prud’Hommes pour contester l’application de la présomption de démission.

Dans ce cas, l’affaire est alors portée directement devant le Bureau de Jugement sans passer par le préalable du Bureau de Conciliation et d’Orientation et les Juges disposeront alors d’un mois pour statuer au fond sur l’affaire.

En dépit de ces textes et précisions gouvernementales, la question qui se pose alors pour l’employeur : ai-je la possibilité à date si un de mes salariés est en situation d’abandon de poste d’engager la procédure de présomption de démission ?

La prudence s’avère être de rigueur puisque l’organisation syndicale FO a, le 3 mai 2023, déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour faire annuler à la fois  le décret du 17 avril 2023 mettant en œuvre le nouveau dispositif de présomption démission pour abandon de poste ainsi que les « Questions-réponses » du Gouvernement qui aurait pour la première fois une portée générale et normative.

FO considère en effet que le principe même de la présomption de démission pour abandon de poste est une « aberration juridique créée dans le seul but de restreindre les droits des demandeurs d’emploi », puisque le dispositif irait à l’encontre de la définition de la démission qui est énoncée par le Code du Travail, à savoir que la démission ne se présume pas et qu’elle doit être claire et non équivoque.

FO considère également que le temps accordé à l’employeur pour mettre son salarié en demeure de revenir à son poste ou de justifier de son absence est trop court, puisque ce délai de 15 jours s’entend en jours calendaires et qu’il commence à courir dès la première présentation de la mise en demeure du salarié, ce qui fait craindre à l’organisation syndicale que des salariés hospitalisés et peu entourés peuvent se retrouver dans une situation extrêmement difficile.

Ce recours impose donc à la prudence dans l’attente de la décision du Conseil d’Etat.

Le cas échéant, il y aurait fort à craindre que la mise en œuvre de la procédure par l’employeur aboutisse à un contentieux aléatoire devant la juridiction prud’homale